L’industrie automobile au seuil d’une révolution ?
Actualité initialement publié dans la newsletter de l’ADMEO N°5 Juillet- Août 2004
La libéralisation de nos économies de marché a considérablement accru l’intensité concurrentielle de nombreux secteurs. L’industrie automobile européenne n’échappe pas à ce phénomène, déjà fortement concurrentielle sur un marché européen qui tend à stagner, elle est aujourd’hui menacée par la montée en puissance de concurrents autrefois beaucoup moins présents (Daewoo, Hyundai, Kia, etc…). Ce nouvel environnement a contraint les constructeurs traditionnels à redéfinir leurs stratégies. Face au foisonnement des offres, l’objectif n’est plus de répondre à la demande mais aux différentes demandes émanant de consommateurs aux exigences diverses. L’innovation tient une place centrale dans cette stratégie puisqu’elle permet par un processus de différenciation de créer de nouveaux débouchés (on peut par exemple citer la multiplication des offres de motorisation diesel depuis les avancées en matière d’injection directe).
Néanmoins l’innovation étant coûteuse et impliquant des compétences très diverses, les constructeurs ont choisi à cet effet de s’appuyer sur leurs fournisseurs. La différenciation s’opère, donc, par l’intégration au produit automobile de nouvelles technologies provenant d’entreprises très spécialisées[1]. L’avantage concurrentiel que sont en mesure d’apporter ces équipementiers, le plus souvent des grands groupes (Bosch, Visteon, Delphi, etc…), les place au cœur de la stratégie d’innovation des constructeurs. Par ailleurs, l’externalisation permet également aux constructeurs de transférer un certain nombre de contraintes sur leurs partenaires. En effet, les équipementiers ont aujourd’hui un rôle accru dans la production automobile puisqu’ils assument de plus en plus de responsabilités comme la réduction des coûts ou la maîtrise de la qualité. La réduction des coûts représente un enjeu essentiel, puisque les progrès réalisés dans l’automobile s’accompagnent d’une importante augmentation des coûts de production. Or, le contexte concurrentiel actuel n’autorise pas les constructeurs à relever leurs prix. Par conséquent, en déléguant un ensemble d’activités de production à leurs fournisseurs, les constructeurs bénéficient de leurs compétences mais également d’une réduction des coûts permise par l’augmentation de leur échelle de production[2].
Cette dispersion des compétences peut nous conduire à nous interroger sur l’évolution du rôle du constructeur. En effet, l’externalisation d’un certain nombre d’activités clés a considérablement réduit son rôle. Le métier de constructeurs s’oriente aujourd’hui vers une spécialisation dans la conception (création de l’architecture globale du véhicule), la commercialisation et l’ensemble des services qui lui sont attachés (financement, entretient, etc…). Au niveau de la production le constructeur reste le grand organisateur qui coordonne les différentes étapes du processus de production, notamment en agrégeant un ensemble de technologies, provenant d’acteurs spécialisés et divers. Cependant, cette activité ne peut-elle pas être réalisée par de nouveaux acteurs entrants sur le marché ou des entreprises déjà présentes dans d’autres activités (équipementiers, sous-traitant, etc…)
En effet, l’industrie automobile ne risque-t-elle pas de pas de connaître le même sort que l’industrie informatique. L’entreprise IBM qui au départ contrôlait le marché de la construction d’ordinateurs personnels (pc) a ouvert la porte à la concurrence lorsqu’elle a choisi d’externaliser la conception et la production des différents éléments qui composent la machine. Qu’est ce qui pourrait empêcher une entreprise d’assembler les différents éléments provenant des équipementiers de l’industrie automobile pour fabriquer son modèle automobile? De plus, les constructeurs sont dans l’incapacité d’empêcher un fournisseur de travailler avec d’autres entreprises. Par ailleurs, avec l’évolution de la réglementation la production d’automobiles devient moins contraignante. Fabriquer des automobiles n’implique plus de posséder son propre réseau de vente ou même d’assurer la réparation ou l’entretien, le lien entre la vente et l’après-vente n’est plus obligatoire (cf. F. Bujoli)
Néanmoins, l’automobile n’est pas l’informatique, le produit réalisé est plus complexe, la compatibilité des composants demeure faible[3] et leur combinaison nécessite une étroite coordination des différents acteurs du secteur. En effet, la fiabilité et la sûreté d’un véhicule dépendent fortement des composants intégrés au véhicule mais également de la cohérence avec laquelle cette combinaison est réalisée. En matière de sécurité et d’environnement la réglementation reste très sévère et seule un entrant ayant les reins solides pourrait gérer l’ensemble de ses contraintes.
Le scénario que nous exposons ici relève, dans le contexte actuel, de l’œuvre d’anticipation. Les barrières à l’entrée sur le marché de l’automobile sont encore très fortes[4] et l’incitation à entrer demeurent faibles notamment parce que la rentabilité moyenne observée dans le secteur de la production automobile reste faible. Les constructeurs réalisent pour l’essentiel leurs marges dans l’ensemble des activités rattachées à la consommation du bien automobile (financement, entretien, etc…).
Toutefois, ces difficultés n’impliquent pas que le secteur de la construction reste figé, l’évolution des structures de marchés et de l’industrie témoignent régulièrement de remous et de chocs qui rendent possible les mutations radicales de l’économie générale d’un secteur. L’adaptation de l’industrie automobile à son environnement, l’évolution de la réglementation en terme de distribution et de sous-traitance automobile sont de nature à favoriser l’entrée dans le secteur si de tels évènements se produisaient. Les tentatives d’entrée pourraient se faire plus pressantes si, par exemple, la rentabilité du secteur évoluait ou si la construction automobile permettait à certaines entreprises (comme les gros équipementiers tels que Bosch ou Delphi qui ont d’ores et déjà une bonne connaissance et une réelle expérience du secteur) de valoriser leurs activités.
[1] Pour plus d’explications voir E. Barreiro, 2003.
[2] Par exemple, Peugeot en utilisant le système « common rail » de Bosch bénéficie des économies d’échelles que l’équipementier réalise en fournissant le même système à plusieurs constructeurs.
[3] Il existe une compatibilité entre les gammes des constructeurs ou d’un groupe, c’est le principe des plates formes communes d’assemblage largement popularisées par Volkswagen qui permet l’utilisation d’organes communs (moteurs, boite de vitesse, trains roulants etc…). Néanmoins, il n’offre pas d’interfaces comme celles existant dans l’industrie informatique (port PCI, slot, port USB, etc…), ce qui permet aux consommateurs de composer une machine complète en assemblant des composants provenant de divers fournisseurs.
[4] Il est, malgré tout possible de fabriquer des automobiles sans être un grand groupe, en témoigne l’existence de petits constructeurs indépendants (De Tomaso, TVR, Morgan, Jensen, etc…).