Les carburants « propres », quelle rationalité ?
Article initialement publié le 31 Décembre 2006 sur le site de l’ADMEO
Les carburants verts ont le vent en poupe. Ils sont dans la bouche des dirigeants comme dans la communication des constructeurs automobile et des pétroliers. Cet emballement conduit toutefois à quelques confusions. En effet, tous les biocarburants ne se valent pas. Et comme la récente déconvenue du gouvernement avec l’éthanol le rappelle, les biocarburants, ce n’est pas la panacée.
En matière d’énergie, ce qui est bon pour les autres pays ne l’est pas forcément pour le nôtre. Le succès de l’éthanol au Brésil a pu laisser penser qu’il pourrait constituer une bonne option pour la France. Cependant, si le Brésil peut se permettre de miser sur l’éthanol, avec la technologie automobile « flex fuel », c’est parce qu’il s’appuie sur une abondante production de canne à sucre. Dès lors, lorsque le baril de pétrole atteint 60 dollars la production d’éthanol devient rentable. La France ne bénéficie pas des mêmes conditions climatiques et est obligée de produire l’éthanol à partir de la betterave ou du blé, dont le rendement énergétique est bien inférieur, sur des surfaces cultivables qui ne peuvent subvenir à plus de 10% des besoins. Par ailleurs, pour le consommateur, l’économie n’est pas certaine dans la mesure où les véhicules fonctionnant à l’éthanol consomment 1,4 fois plus que ceux utilisant de l’essence.
L’aventure éthanol parait, par conséquent, assez hasardeuse. L’initiative du gouvernement a d’ailleurs été durement critiqué par J.M. Folz président de PSA Peugeot Citroën. Ce dernier déclarait en mai 2006 : « L’introduction de voitures fonctionnant à l’E85 est une initiative stupide car elle nécessite de lourds investissements. Il faut changer les voitures, les moteurs et les circuits de distribution »[1]. J.M. Folz soulignait également que l’essence incorpore déjà, en France, 2 % de biocarburants et que les voitures actuelles peuvent tolérer un mélange pouvant aller jusqu’à 10 %. Il serait alors possible de multiplier par 5 la consommation de biocarburant, ce qui constitue une augmentation conséquente de la production d’éthanol, sans surcoût pour les constructeurs ou la collectivité.
Doit-on conclure de tout cela que les carburants verts ne tiennent pas leur promesse ? Évidemment non. Cependant, la politique énergétique d’un pays doit être adaptée à ses spécificités. Dans le domaine des transports, les pouvoirs publics ne peuvent négliger la part croissante des véhicules diesel dans le parc automobile français qui représente plus de 50% des véhicules en circulation et 70% des ventes de véhicules neufs. Dans cette perspective, Thierry Desmarest[2], PDG de Total, indique qu’il serait judicieux que l’Etat donne la priorité au biodiesel. En effet, non seulement ce carburant, issu d’oléagineux comme le colza et le tournesol, est plus aisé à produire, mais il aurait également un véritable intérêt économique dans la mesure où la France produit moins de diesel qu’elle n’en consomme. Pour des raisons techniques, les raffineries produisent deux tiers d’essence pour un tiers de diesel. Par conséquent, la France doit exporter un important excédent d’essence et importer un quart de ses besoins en diesel.
Le biodiesel, aussi appelé Diester 30[3], est donc plus adapté au marché français. Il est compatible sans aménagements spécifiques avec tous les véhicules diesel récents et permet une réduction de 22% des émissions polluantes. Néanmoins, il ne faut pas négliger que ce bilan doit être minoré par la prise en compte de l’énergie nécessaire à sa production. En effet, comme l’éthanol le diester 30 nécessite une transformation qui altère son bilan environnemental et économique.
L’intérêt des biocarburants semble très difficile à établir. Cependant, on peut noter qu’il existe des solutions plus simples et plus rationnelles. Comme l’utilisation d’huile végétale brute (HVB). Les automobiles diesel peuvent fonctionner avec des oléagineux très peu transformés ce qui autorise un bilan économique et environnemental plus favorable[4]. Comme le biodiesel, ils peuvent être mélangés au gasoil dans des proportions allant jusqu’à 15% pour les voitures modernes et bien plus pour les mécaniques traditionnelles qui selon G. Vaitilingom, chercheur au CIRAD[5], peuvent supporter jusqu’à 100% d’huile dans leur réservoir (ce qui est illégal). Cette solution serait plus favorable dans la mesure où l’utilisation d’huile végétale est neutre pour l’environnement. Les quantités de CO2 émises lors de la combustion sont équivalentes aux quantités absorbées par les végétaux lors de la photosynthèse. Au niveau économique, une filière est déjà organisée (voir le site de Valenergol), mais elle agit à l’heure actuelle dans l’illégalité, et mélanger de l’huile vierge au carburant existant pourrait se faire de manière relativement aisée et sans surcoût.
Cependant, se posent plusieurs problèmes. Tout d’abord, quelle fiscalité appliquer à l’HVB, jusqu’à présent considérée comme un produit alimentaire ? Puis, de quelle manière les producteurs d’oléagineux vont t-il pouvoir se placer dans la chaine de valeur des carburants ? Quelle sera leur place dans les processus de coordination avec l’industrie automobile ? Il semble peu probable que les pétroliers soient disposés à partager leurs juteuses rentes avec des exploitants agricoles. De leur côté, les constructeurs feignent encore d’ignorer leur existence. Pourtant, ils seraient bien inspirés de s’intéresser à cette filière. En effet, les constructeurs français auraient tout à gagner à un partenariat puisque les oléagineux pourraient assurer à moyen terme la pérennisation de leurs technologies diesel, de plus en plus concurrencées[6] par de nouvelles technologies (par exemple les véhicules hybrides de Toyota). On pourrait même aller plus loin et imaginer ce que pourrait donner, en termes d’émissions, le futur véhicule hybride diesel de PSA Peugeot Citroën s’il fonctionnait avec un fort taux d’HVP dans son réservoir !
Il est possible qu’à terme les pouvoirs publics et les différents acteurs du secteur des transports soient amenés à envisager ce type de solutions. La prise en compte des carburants dans les émissions polluantes des véhicules est assez récente et il existe une certaine incertitude sur les technologies qui domineront l’automobile de demain. Nous serions dans une période d’apprentissage où tout est encore à faire. Cependant, les progrès dans ce domaine ne peuvent devenir réalité sans une intervention de la puissance publique qui toucherait à la fois les consommateurs et les entreprises, par des incitations fiscales, des subventions et une législation adaptée, mais également par une véritable responsabilisation des automobilistes.
[1] Le Monde, 26 mai 2006.
[2] Capital, Décembre 2006, n°183
[3] C’est un mélange comportant 30% d’ester méthylique pour 70% de gazole.
[4] Pour plus d’informations, voir E. Barreiro « Ces Français qui roulent à l’huile …» la newsletter de l’ADMEO , n°17, Septembre 2005 et dans le même numéro l’interview de M. Zanardo.
[5] http://www.cirad.fr/fr/index.php
[6] Voir sur ce point E. Barreiro « Motorisation automobile, la guerre technologique ne fait que commencer ! », la newsletter de l’ADMEO, n°22, février 2006.