Ça me gratte : Internet, réguler le trafic par une segmentation de l’offre serait une erreur !
L’idée d’une segmentation du marché de l’accès à « Internet » monte en puissance. Cette proposition ne s’arrête pas au mobile, où la question pourrait se poser (à condition que l’on ne nomme pas Internet ce qui n’en est pas et de banir l’appellation « illimité» des offres commerciales), et concerne de plus en plus l’accès via une ligne fixe.
La segmentation du marché de l’accès : une pratique socialement contestable
Avant tout chose on ne peut soutenir une telle démarche dans la mesure où elle pourrait conduire à l’émergence d’un Internet à deux vitesses. Un accès complet au prix fort, et donc réservé aux populations les plus aisées et un accès restreint, moins cher (soit peu ou prou ce que l’on paie aujourd’hui pour le triple play), réservé aux plus modestes.
Une telle politique serait un important recule. Internet a offert un accès, au plus grand nombre, à une culture élargie et à l’information. Gommant ainsi certaines inégalités dues au fait que l’accès à la culture, n’en déplaise à certains pourfendeurs de la répression « Hadopienne », coûte cher !
L’accès au réseau, un marché à coûts fixes
Cette pratique est également économiquement injustifiée puisque, quelle que soit sa consommation, l’individu utilise pour accéder à Internet une infrastructure définie, qui est en fait la même pour tous. Le consommateur paie un accès et non, comme on voudrait nous le faire croire, une consommation (le Mo utilisé).
Par conséquent, pour l’opérateur, un internaute qui consomme (et paierait) moins, coûte aussi cher que celui qui consomme (et paierait) plus. Pour être plus précis, le service d’accès fonctionne à coûts fixes (avec 9 euros minimum de coût d’accès au cuivre de France Telecom) et les coûts sont donc décolérés des usages.
Les 30 euros demandés aujourd’hui pour bénéficier d’un accès à Internet sont donc proches du prix planché et le consommateur peut donc difficilement payer moins. Avec la fibre optique les choses ne seront pas différentes puisque l’infrastructure sera la même pour tous.
La segmentation du marché, un mauvais signal économique
Cependant, on ne peut exclure que des problèmes de « congestion » puissent apparaître en amont du réseau, par exemple, au niveau de la collecte. Dans ce cas précis des investissements spécifiques pourraient être nécessaires.
Les opérateurs attribuent, en grande partie, ce risque de congestion à l’explosion de services gourmands en bande passante, comme le streaming vidéo fourni, notamment, par Youtube (Google) et Dailymotion.
Certains opérateurs rêveraient de faire supporter l’investissement nécessaire pour dépressuriser les réseaux (voire plus) sur le consommateur via des offres segmentées. Or, cette stratégie serait une erreur puisqu’elle enverrait un mauvais signal au marché. Cela reviendrait, finalement, à permettre aux opérateurs de créer plus de valeur sans investir et en rationnant la demande.
En effet, pourquoi investir s’il me suffit de gérer la rareté? Plus mon réseaux sature, plus la bande passante est rare et plus elle est chère. J’excerce le mécanisme de base de l’économie de marché. J’augmente les prix quand la demande augmente. Ce qui me permet d’augmenter mes revenus sans avoir à investir. Cela au détriment du consommateur qui bénéficie d’une offre incomplète et chère. Cette politique, en sanglant la demande, aurait également des effets désastreux sur le marché puisqu’elle figerait (voire contracterait) les usages fermant la porte à l’innovation et aux nouveaux entrants.
Une telle stratégie enverrait également un signal négatif aux acteurs du web qui ne seraient pas incités à investir pour améliorer leurs services. En effet, pourquoi investir dans de nouvelles technologies, moins gourmandes en bande passante, ou pour me rapprocher des consommateurs (investir dans les réseaux) si l’opérateur fait ce travail de « régulation ». Puis, pourquoi développer de nouveaux services, s’ils ne sont accessibles qu’a un nombre limité de consommateurs.
Un signal économique peut être nécessaire, mais il doit viser les bons acteurs
Si problèmes de congestion il y a, des transactions entre les opérateurs et les acteurs du web peuvent être envisagées. En effet, le fait que certaines prestations puissent potentiellement devenir payantes peut pousser les acteurs du web à investir et à innover. Les opérateurs, de leur coté, seront plus incités à investir si une partie de leurs coûts est couverte par cette participation des acteurs du web.
Certains pourraient souligner que ce type de relations n’empêche nullement que l’opérateur s’appuie sur la rareté de la bande passante pour envoyer des factures salées aux acteurs du web. Cependant, il est difficile de croire que les négociations ne seraient pas plus équilibrées avec un Google ou un Facebook. Mais en réalité, une telle politique devrait bien évidement être assortie d’un encadrement réglementaire (encadrement du prix, définition du marché pertinent, etc.). Il semble absolument nécessaire que ce type de paiements, s’il doit être mis en place, soit surveillé par une autorité de régulation. D’autant plus, qu’il ne serait pas acceptable que le prix de la prestation soit un poste de profits. Il devrait uniquement couvrir les coûts spécifiques engendrés par les acteurs du web (le coût incrémentale) en amont du réseau.