Bouygues Telecom et le refarming 1800 MHz : il faut penser différemment « la concurrence »
Bouygues Telecom a exprimé sa volonté d’utiliser les fréquences 1800 MHz, aujourd’hui uniquement utilisées pour la 2G (la technologie GSM), pour fournir des services 4G (en réalité LTE)1. L’usage de ces dernières serait économiquement rentable pour l’opérateur dans la mesure où, pour faire simple, cela lui permettrait de convertir une infrastructure existante au lieu de redéployer ab initio un nouveau réseau. Bref, il lui serait moins coûteux d’offrir la 4G à partir des fréquences 1800 MHz. Mais cela implique une réaffectation de l’ensemble de ces fréquences (le refarming), pour tous les opérateurs et l’action du régulateur des télécommunications (l’ARCEP).
Doit-on permettre à Bouygues Télécom d’utiliser les fréquences 1800 MHz pour la 4G (le LTE) ?
Si on réfléchit de manière pragmatique il n’y a pas de raison de s’opposer au refarming des fréquences 1800 MHz, d’une part, le consommateur pourrait bénéficier plus rapidement de la 4G, d’autre part, on parle d’un acteur très affaibli depuis l’entrée sur le marché de Freemobile et qui pourrait donc avoir des difficultés à investir pour déployer un service optimal.
Cette réponse tient-elle lorsque l’on raisonne sur le plan de l’analyse concurrentielle ?
Oui, Je le crois. Tout d’abord car je suis convaincu que cela ne remettrait pas en cause la stratégie de déploiement de Orange et SFR, peut même que cela la stimulerait. Freemobile, de son coté, aurait un gain certain à l’opération puisque le refarming lui permettrait de récupérer des fréquences en 1800 MHz. Ce qui semblait, dans un premier temps, en tout cas2, important pour lui, en témoigne un écrit de l’opérateur cité par l’Arcep dans la consultation qu’elle a lancée sur ce sujet :
«[…] ce refarming est crucial pour le groupe Iliad, car il s’agit de la principale opportunité de rééquilibrer l’allocation spectrale entre les opérateurs avant la fin de la décennie». (source : ARCEP, juillet, 2012, p. 6)
Ensuite, la transformation de l’environnement socio-économique du secteur des télécommunications, marquée notamment par plus de concurrence et une montée en puissance d’acteurs variés (entreprises du « web » mais aussi de certains fabricants de terminaux) a introduit une rupture conduisant à un nouveau paradigme.
Un paradigme qui implique une modification de la politique concurrentielle (et cela serait aussi vrai pour la politique industrielle si par bonheur on en avait une).
Concrètement en matière de concurrence il s’agit de substituer une démarche basée sur l’équité à une démarche égalitariste. Pour résumer « servir » les acteurs en fonction de leurs besoins (et de leur situation) et non de manière à assurer que tout le monde bénéficie du même traitement. En réalité Freemobile a déjà joui d’une telle approche puisque il est entré sur le marché en achetant une licence 3G « faite sur mesure », plus réduite mais aussi moins chère que celle acquise par ses concurrents. Et ce traitement avait un sens dans la mesure où son entrée sur le marché se faisait dans un contexte très différent (un marché très mature, une base de clients mobile nulle, une terminaison d’appel mobile beaucoup plus basse, etc.) de celui connu par ses concurrents lorsqu’ils ont pétitionné pour leur licence 3G .
En quoi un traitement équitable (et non égalitariste) est justifié pour Bouygues Telecom ?
– L’industrie des télécommunications repose sur des économies de coûts fixes. En l’occurrence la taille des acteurs joue un rôle capital dans l’amortissement et la rentabilité des investissements. Et si les sur-marges passées gommaient certains effets « taille » cela n’est plus vrai depuis l’entrée fracassante de Freemobile sur le marché. Orange et SFR s’appuient sur un parc qui représente entre 30 et 40 % du marché alors que Bouygues Telecom se limite à environ 10 %. Par conséquent, ce dernier n’est pas en mesure de rentabiliser ses investissements aussi aisément que les leaders du marché .
– Bouygues Telecom ne peut pas s’appuyer sur un parc d’abonnés aux services fixes (aDSL et FTTH) aussi important que ses concurrents pour dégager une marge de manœuvre financière supplémentaire mais aussi pour fixer les clients (le churn est plus faible car plus complexe sur le fixe que sur le mobile).
Enfin il ne s’agit pas d’une faveur faite à Bouygues Telecom dans la mesure où il a payé sa licence 4G (en achetant des fréquences 2,6 GHz et 800 Mhz) comme les autres opérateurs et les textes européens le permettent (Et Orange qui s’y oppose en France en a bénéficié en Angleterre). D’ailleurs, plusieurs opérateurs européens (et hors de l’Europe) ont lancé ou vont lancer le LTE sur le 1800 MHz.
———————————————————————————————————————————————————————-
1 Le LTE n’est pas, en réalité, de la 4G mais la 3G très améliorée. La 4G est selon l’ITU le LTE-a (a pour advanced)
2 Étrangement Freemobile s’est montré, depuis, beaucoup plus froid et va même jusqu’à faire un pied de nez à Bouygues Télécom, en utilisant l’argument de l’emploi pour l’empêcher d’utiliser les fréquences 1800 MHz, comme Bouygues Telecom l’avait fait pour l’empêcher d’avoir sa licence mobile. Si certains estiment que cela s’explique par le fait que ce dernier à d’autres priorités que le déploiement que la 4G, je pense que qu’il serait plus vrai de dire que Free Mobile peut se permettre de prendre cette posture car il a d’autres priorités. La vrai raison de ce volte face est difficile à définir. Ne pas faciliter la tâche aux concurrents ? Soutenir le partenaire Orange ? Sécuriser l’itinérance 2G (qui transiterait majoritairement -sur le réseau Orange- via les fréquences 1800 MHz)? Difficile à dire.